L’entrée en guerre du Canada, aux côtés des forces alliées et contre les Empires centraux, va apporter indéniablement un poids supplémentaire significatif dans la balance des forces en présence. Le Canada s’appuie sur la Milice et une faible armée régulière, en 1914, mais les effectifs qui seront rassemblés pendant la Première Guerre mondiale, ne cesseront de croître pendant toute la durée du conflit.
Plus de 30 000 hommes s’engagent à l’appel du Roi Georges V dans les premiers mois de la guerre et s’embarquent ensuite pour l’Europe au sein du Corps expéditionnaire canadien (Canadian Expeditionary Force, ou CEF). On note un afflux de plusieurs milliers de volontaires de Québec sur lequel nous reviendrons dans un autre article. Au total, 619 636 hommes vont s’enrôler au cours de ces années, dont 424 589 ont servi en Europe. Leurs uniformes, équipements mais surtout leurs insignes vont retenir l’attention de leurs camarades des autres nations comme des populations civiles tant leur symbolique est particulière et riche d’enseignement.

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Cette première étude se concentrera sur l’insigne général, ou Maple Leaf badge (insigne en forme de feuille d’érable), sa genèse, sa fabrication et sa production. Il est prévu de partager d’autres études sur des unités particulières dotées d’insignes propres spécifiques et dont le nom, l’origine, la relation avec un pays d’Europe, ou l’engagement, constituent des points d’intérêts particuliers pour l’historien comme pour le lecteur.

La diversité des bataillons canadiens

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Dès les premiers temps, de la mobilisation des volontaires pour le service outre-mer (Overseas) en 1914, les autorités canadiennes optent pour le format du bataillon (1000 hommes, 4 compagnies) qui se différencie un peu du schéma militaire britannique qui repose sur le Regiment même si ce dernier est également organisé en bataillons, jusqu’à plus de 20 parfois : réguliers (active), territoriaux (armée de réserve) et plus tard de volontaires (Service) pour l’infanterie. Les bataillons canadiens se voient attribuer un numéro unique. Il est prévu de doter chaque bataillon d’un insigne spécifique, souvent en forme de feuille d’érable, numéroté, légendé et illustré afin de fédérer les volontaires et de développer leur esprit de corps. Dans le même temps, le gouvernement décide qu’il sera porté un insigne général, par défaut, partout et par tous, en l’absence d’insigne particulier. De nombreuses photos d’époque confirment que cet insigne est très présent sur le Front de l’Ouest, et souvent même porté, au même titre et dans des occasions presqu’aussi nombreuses, que les insignes spécifiques d’unité.  Il s’agit de l’insigne dit General List, ou insigne général du Corps canadien. Il a longtemps constitué une trouvaille de choix pour les collectionneurs dans les brocantes de villages du Nord de la France, dans les stands des bourses aux armes. Ce temps est malheureusement révolu et cet insigne est désormais très recherché.

La feuille d’Érable « Maple Leaf »

Le Canada adopte l’emblème national de la feuille d’Érable en 1848, sous l’action d’une association littéraire de Toronto, dans la Province de l’Ontario. En fait, l’apparition de la feuille d’érable, comme emblème, semble même dater de 1834, lorsque l’association francophone de Saint Jean-Baptiste, dont une des raisons sociales est la promotion de son héritage culturel et linguistique, décide d’en faire son emblème. L’idée est ensuite reprise par le premier maire de Québec, Jacques Viger (1787-1858), lors de son mandat (1851-1860) où il consacre l’Érable, Roi de la forêt, comme symbole de l’unité des canadiens. Deux ans plus tard, le journal « Le Canadien » propose de faire de la feuille d’érable le symbole national. Le cheminement culmine avec la proposition officielle d’une société de Toronto, The Maple Leaf, de faire de cette feuille l’emblème national. Dès lors, cette représentation se généralise et on note l’apparition du premier insigne militaire à fond de feuille d’érable, en 1860. On la retrouve ensuite sur le blason des provinces de l’Ontario, du Québec, sur les pièces de monnaie et l’adoption de l’hymne national, The Maple Leaf for ever, consacre encore un peu plus ce symbole national.

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L’insigne militaire du Corps expéditionnaire canadien

Dans son ouvrage de référence, Chris Brooker précise d’ailleurs que « Bien que des insignes de service général datés de 1914 aient été produits, il est difficile de savoir s’ils ont été produits avant le départ du 1er contingent, en octobre 1914, ou après. Le coût de l’insigne en feuille d’érable, des insignes de col et des titres d’épaule était de 10 cents par ensemble et était disponible aux frais du public dans les magasins d’équipements (ndlr tailleurs, foyers). D’après le nombre de modèles et de variétés, il semblerait que des insignes génériques de feuille d’érable aient été émis pour la plupart, sinon la totalité, des unités du CEF. À partir de 1915, le gouvernement, a également fourni, en plus des badges G.S., des chiffres et des titres d’épaule comme «INF» (infanterie), CEF, CFA (artillerie de campagne), CGA (artillerie lourde), etc. » (1)

De son côté, l’insigne (ou badge) distinctif avec numéro est acheté par le volontaire, ou payé par les cotisations de bienfaiteurs, d’actions de bienfaisance (Charities) et autres collectes réalisées dans la province, le district ou la ville d’origine. Il semble aussi que certaines unités n’aient pas perçu assez d’insignes spécifiques et ont donc souvent porté l’insigne général.

(1) WWI Canadian Expeditionary Force Badges, Chris Brooker, 1st Edition 2018 (https://www.canadiansoldiers.com/insignia/brookerguide.htm)

L’insigne canadien général, ou General List badge, se distingue par sa forme et son dessin. L’insigne en cuivre représente, comme base et fond, une feuille d’érable (Mapple Leaf) stylisée, sur laquelle figure, en son centre, la couronne du Roi surmontant la mention CANADA. L’insigne existe dans un format standard d’insigne de casquette (cap badge) et de col, portés en paire (collar badges). L’ensemble est complété par une paire de titres d’épaule en cuivre au nom de CANADA sur un fond plein et courbé.

L’insigne se trouve avec des couleurs et des fabricants différents. On citera P.W. Ellis & Co 1914, P.W. Ellis 1915 ; CARON BROS MONTREAL 1915 ; CARON BROS MONTREAL 1916 ; BIRKS 1915 ; GEO H. LEES & CO 1915 ; GEO H. LEES & CO 1916 ; RODEN BROS TORONTO ; RODEN BROS 1915 ; RODEN BROS MONTREAL 1915 ; RODEN BROS 1916 ; RODEN BROS TORONTO 1918 ; GEORGES F. HEMSLEY ; SCULLY MONTREAL… Il est cependant à noter qu’un nombre important de badges a également été fabriqué au Royaume-Uni et plus particulièrement en Angleterre. On les trouve donc parfois avec des marquages anglais comme J.W. DINGLEY BIRMINGHAM ; J.W. TIPTAFT & SON LTD BIRMINGHAM

Conclusion

Le déclenchement de la Première Guerre mondiale, en août 1914, constitue un incroyable séisme en Europe mais aussi sur tous les continents de la planète. Les contingents militaires affluent d’Orient, d’Afrique, d’Asie et d’Amérique. Chacun porte ses uniformes, ses coiffures, ses attributs avec fierté et courage. Les Canadiens n’échappent pas à la règle et vont, à travers le port, notamment de leurs insignes de casquette, de col ou titres d’épaule, clairement afficher leurs origines. La forêt canadienne et son roi, l’Érable, accompagnent ces vaillants soldats à travers la feuille d’Érable, devenu le symbole national et celui de l’engagement du Corps expéditionnaire canadien sur le front de l’Ouest, en Europe, comme sur d’autres théâtres d’engagement. L’insigne à fond de feuille d’érable restera d’ailleurs présent dans les forces armées canadiennes, sous différentes déclinaisons, dans l’entre-deux-guerres, durant le second conflit mondial et jusqu’à nos jours.