L’insigne d’unité a toujours représenté une identité forte au sein des formations militaires britanniques et du Commonwealth. Cela a même été encouragé par le Haut Commandement par ses décisions de procéder à la frappe d’insignes propres, notamment au sein du Corps Expéditionnaire Canadien. Ces insignes ont souvent contribué à immortaliser l’unité et ses hommes auprès des populations locales.

Ce qui est moins connu, c’est ce qu’il a pu advenir de ces insignes au cours des périples rencontrés par les soldats, depuis leur départ du pays jusqu’à leur déploiement en France. Ainsi, l’insigne a pu être échangé avec d’autres combattants pour finir sur une ceinture en toile. Parfois, il a été utilisé comme une monnaie d’échange, le vecteur d’un instant, d’une page particulière, à immortaliser. De nombreuses anecdotes rapportent la remise d’un insigne de casquette, de col, ou d’épaule, contre une demi-douzaine d’œufs, du lard, autant d’ingrédients prisés pour un petit-déjeuner « british ».

Les ports et les dépôts furent, en priorité, les endroits privilégiés pour la naissance de telles « collections » auprès des personnes locales, aubergistes, taverniers, commerçants, particuliers… Boulogne, Rouen, Le Havre, Marseille… restent des hauts-lieux de transits des troupes de l’Empire britannique, propices à l’échange, ou au don, d’insignes divers et variés.

Les passages par les estaminets, à l’arrière du front, ont offert ainsi des situations où une pinte de bière, ou deux, finirent par se régler parfois par… un insigne, ou deux, des rires et des sourires. L’argent n’était pas tout en ces temps difficiles. Pour beaucoup de Français, des pièces de monnaie venues de l’autre monde, fusse-il le Nouveau, présentaient moins d’intérêt que de beaux insignes illustrés de castors, d’élans, de feuilles d’érables, autant d’invitations au rêve, à la découverte du monde, au voyage, pour des gens qui ne quittaient pas leur canton, à l’époque. On compte ainsi certaines histoires de collections d’insignes britanniques et des contingents issus du Commonwealth accumulées dans des cafés, y compris à l’arrière du front de la Somme, de l’Artois et des Flandres. Il y notamment l’histoire d’un café, au sud d’Arras, qui disposait ainsi encore d’une de ces collections transmises à travers les décennies, jusque dans les années quatre-vingt.

Plus modestement, des insignes ont traversé les années, préservés par des familles en ayant pour histoire la même origine : le simple don ou l’échange, avec un habitant local. Des boites de biscuits contenant des insignes et des boutons ont ainsi traversé les époques avec comme seule explication qu’ils furent offerts par des soldats britanniques, canadiens, australiens, néo-zélandais. Ces situations furent propres aux armées britanniques et n’existèrent évidemment jamais avec l’occupant allemand, ni avec le frère Français venu naturellement libérer le sol de sa patrie. Le Canadien, au-delà même des unités québécoises, ou des francophones, sans nier ce lien, revêtait un caractère particulier. Les combattants canadiens bénéficiaient ainsi d’un capital sympathie permettant le don, l’échange de bons procédés, le troc d’un insigne canadien contre un morceau de beurre, ou de lard. Mais, plus largement, l’ensemble des troupes britanniques et coloniales connurent cette situation de sympathie généralisée.

Le myosotis, à la fleur éphémère, saisonnière, rappelant l’importance de ne pas oublier la personne chérie, fut parfois aussi remplacé symboliquement par un insigne. Au pays, on les appelait « Sweetheart », insignes de belles factures, émaillés, rappelant le cœur chéri laissait au pays mais près du front, certaines idylles donnèrent également naissance à de belles histoires, passionnées un jour, et déchirantes le lendemain, voire dramatiques comme la vie au front l’impose malheureusement. Les insignes suffirent souvent, au moment du départ du soldat, à témoigner le fameux « Forget me Not », ne m’oublie pas.

Myosotis – En souvenir des Terre-Neuviens à Beaumont-Hamel

Les fleurs minuscules du myosotis, qui s’appellent en anglais des « forget-me-not » (ce qui veut dire « ne m’oublie pas »), revêtent une signification particulière pour la province de Terre-Neuve-et-Labrador, où elles sont souvent portées comme symbole de commémoration le 1er juillet ...
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Dans certains cas, ces insignes furent offerts par des combattants ayant séjourné chez l’habitant, à l’abri d’un corps de ferme, dans une grange. Certains habitants prirent alors le temps de griffonner un nom, une date, une unité et de l’attacher à l’insigne ainsi offert.  En cela, ils voulaient garder la mémoire de ces instants, de ces cohabitions exceptionnelles avec des hommes venus de si loin et pourtant si proches d’eux. Une récente vente aux enchères en France a permis de voir émerger ainsi une de ces petites et rares collections d’insignes canadiens dont une partie était ainsi « documentée » par de petites notes pliées, comme cachées, au dos des insignes. Cet article en présente certains. Outre le fait de représenter des ébauches de collections « primitives », ces insignes sont autant de pages de vie, de témoignages forts, de moments difficiles comme parfois heureux, partagés avec ces soldats venus d’outre-mer. Les noms inscrits sur ces papiers nous interpellent et nous imposent un devoir de mémoire comme de gratitude.

Un article à venir détaillera le parcours de chaque soldat cité sur ces reliques.

Sources photos :

https://www.hobyanddistricthistory.co.uk/forget-me-not-3/

https://www.iwm.org.uk/collections/item/object/205092994

https://www.veterans.gc.ca/en/remembrance/information-for/educators/learning-modules/beaumont-hamel/forget-me-not/story

collection privée Anne Dubuc